Les Instituts Confucius en France, de si discrets relais chinois

Instituts Confucius | novembre 18, 2021

Les Instituts Confucius en France, de si discrets relais chinois
Outils d’influence du Parti communiste chinois, les IC multiplient les projets dans les villes moyennes, en vivant dans l’évitement des sujets qui fâchent Pékin.

Par Nathalie Guibert(Angers, Arras, Pau, Rennes, envoyée spéciale)

Le Monde, le 08/07/21

Manifestation contre les Instituts Confucius à Mont-Saint-Aignan en 2020. Extrait du documentaire « Chine, la grande offensive », de Michael Sztanke. BABEL DOC

Les têtards frétillent, tracés à l’encre noire sur la page blanche, sous l’œil de la professeure de calligraphie qui félicite l’enfant. Le petit garçon a eu le courage de se lever tôt, ce samedi
matin de juin, pour suivre le cours de l’Institut Confucius (IC) de Pau. Mais Léo vient de bon cœur avec son frère, assure sa mère, une Chinoise mariée de longue date à un Français.
« C’est leur deuxième maison, ici, leur culture, et je n’ai pas envie qu’ils la perdent. » Vue sous cet angle, l’ouverture dans la capitale du Béarn du dernier-né des instituts de langue et culture chinoises en France, à l’automne 2019, fut une bonne chose.

L’association (100 adhérents) est logée par la municipalité, en plein centre-ville. Elle dispose d’un budget de 80 000 euros, financé à parité par l’agglomération et la Chine.

L’artisane de cette réussite est Chengjie Zhang-Pène, « Jessica » pour tous, ici. Cette dynamique quadragénaire est mariée à un entrepreneur béarnais qu’elle a rencontré à Shanghaï, il y a plus de vingt ans, alors qu’elle était cadre du groupe hôtelier Accor, et pour l’amour duquel, devenue française et mère de deux filles, elle a été jusqu’à se convertir au catholicisme. Sous sa direction résolue, le groupe WeChat des Chinois de Pau atteint
300 membres, celui des mamans, 100. Ici, l’institut est arrivé en terrain vierge. Jessica est chez elle à l’hôtel de ville, où elle fut membre de la majorité municipale entre 2014 et 2020.

Le président du MoDem et maire de la ville, François Bayrou, la salue d’un complice :
« Tiens, tu es là, toi ? »

A Pau, le communiste Olivier Dartigolles, membre de l’opposition, dit « n’avoir pas compris cette passion soudaine de François Bayrou pour la Chine », ce qui n’a, par ailleurs, « suscité aucun débat municipal » – il y a quand même eu une interpellation de l’association France- Tibet sur le non-respect des droits de l’homme par Pékin.

Des incidents sérieux

Créés en 2004 par le Parti communiste chinois (PCC), rattachés à des universités, les Instituts Confucius ont, selon leurs promoteurs, une mission de « soft power » dans le monde, semblable à celle de l’Alliance française ou du British Council. Elle va plus loin, selon le Hanban, le département du ministère de l’éducation chargé de la langue chinoise, qui a précisé leur ambition idéologique : « étendre l’influence du parti » et le « pouvoir adouci de la Chine », puissance autoritaire devenue inquiétante sous bien des aspects.

Le chinois et sa calligraphie, la médecine traditionnelle ou la poésie, piliers de leur activité, sont des axes du Front uni du PCC, sa stratégie d’influence qui englobe tout, du cinéma de propagande aux opérations de désinformation sur le Covid-19. Le président du Hanban, haut responsable du régime communiste, membre du bureau politique, s’est vu confier dans ce cadre par le leader Xi Jinping un défi : « la révolution Confucius », avec l’ouverture d’ici à 2020 de 1 000 instituts. Ils sont aujourd’hui environ 500, implantés dans 146 pays.

En Europe, des incidents sérieux – censure, pressions – ont été recensés, ces dernières années. Début 2019, le Parti conservateur britannique a recommandé de suspendre les 29 accords passés par les universités du pays, dans l’attente d’un audit en profondeur. La Suède, premier pays d’Europe à l’avoir fait, a fermé tous ses Instituts Confucius.

Fin avril 2021, l’IC de Bratislava s’est, lui, tristement illustré : son directeur chinois a dû être licencié après avoir menacé de mort un chercheur de l’Institut d’études asiatiques d’Europe centrale, Matej Simalcik, qui avait travaillé sur l’entrisme de Pékin dans le monde académique slovaque. « Nous avons donné trop d’espace aux Instituts Confucius », a, de son côté, déclaré le ministère allemand de l’éducation, le 29 juin, en annonçant allouer 24 millions d’euros au développement du chinois à l’université.

Aux Etats-Unis, après des années d’attaques antichinoises frontales de Donald Trump, la moitié des 110 instituts du pays ont fermé. Le mouvement a été accéléré par une décision du Sénat d’interdire, au nom de la sécurité nationale, le financement des universités qui hébergeraient de tels établissements.

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En France, où Pékin travaille en profondeur son influence dans les villes moyennes, 18 instituts mènent une vie d’apparence tranquille. En dépit d’une année d’enseignement en « distanciel », les IC débordent de projets. Avant l’été, l’heure est à la mobilisation pour l’opération « Pont vers le chinois », un concours qui a déjà récompensé 50 000 étrangers de toutes nationalités par des bourses d’études en Chine.

Une demande « qui n’a pas tari »

Ce début juin, Jessica travaille à l’ouverture d’une antenne à Sciences Po Bordeaux, tout en courant les réunions politiques, car elle figurait, au titre du MoDem, sur la liste de la majorité présidentielle pour les régionales en Ile-de-France.

Jia Baojun, son codirecteur chinois – selon le modèle du Hanban, la direction est partagée et le corps enseignant binational –, envoie chaque mois un « lourd rapport » à l’université partenaire de Xi’an, dont il a été vice-doyen. Jia Baojun a vécu huit ans à Limoges pour décrocher son doctorat de français. Il aurait aimé y créer un IC, mais les places étaient déjà prises dans la région, avec celui de Poitiers, le premier ouvert, en 2005, par Jean-Pierre Raffarin, et celui de La Rochelle. La pandémie de Covid-19 a empêché Jia de retourner voir sa famille depuis deux ans. Sa « nostalgie » est terrible. Mais il passe sur les désagréments liés à la période – « C’est vous, les Chinois, qui nous avez refilé cette saloperie ! », lui a lancé un Palois – pour dire sa fierté d’enseignant. « Nous avons un groupe Facebook de 1 900 followers, le deuxième de tous les Instituts Confucius de France » après celui du Centre culturel de l’ambassade, à Paris.

« La demande pour les cours de chinois n’a pas tari avec le Covid », se réjouit Victor Bernard, directeur à Angers, qui touche un public de 300 élèves dans les écoles, au moyen d’ateliers clé en main sur la calligraphie ou le Nouvel An chinois. Municipalité et région abondent son budget – 359 000 euros, dont 60 % venus de Chine. Sur les rives de la Loire doit également s’ouvrir, en 2022, un campus gastronomique conçu avec l’université de Ludong.

« Les IC sont considérés par les acteurs chinois comme ayant le sceau du parti, avec des cadres validés, ce qui nous permet de mieux faire passer les choses, note Benoît Pilet, adjoint au maire d’Angers et président de l’association. Nous voulons un retour autre que culturel, l’institut doit aussi promouvoir le business. » Ce sera fait fin 2021, avec une formation sur la reprise économique en Chine, coorganisée par le Medef, et un colloque « Sport et tourisme », pendant lequel doit s’exprimer le président du club de foot de Sochaux, propriété… des Chinois.

Stratégie de l’esquive

Sur les murs couverts d’illustrations en mandarin, des photos de l’inauguration des locaux de Rennes en 2008 par un Jean-Yves Le Drian tout sourire rappellent que la « révolution Confucius » fut la bienvenue en France. L’IC dispose aussi d’une antenne à Brest et fait le plein dans la deuxième académie de France après Paris pour le nombre d’étudiants en mandarin. « Depuis quinze ans, les parents voient l’apprentissage du chinois comme un atout professionnel et un élément de distinction. Le raidissement actuel du régime à Pékin ne va pas changer cela », estime son directeur, Blaise Thierrée. Lui compte 150 adhérents en majorité adultes (soit cinquante mille heures d’enseignement délivrées par an) et enseigne à
400 enfants dans les établissements scolaires. Il dispose d’un budget de 360 000 euros, dont 200 000 et deux enseignants payés par l’université du Shandong. M. Thierrée assure n’avoir « jamais entendu chez ces profs un discours structuré sur la Chine ». Selon ce parfait bilingue, le jeu est subtil : « Les Chinois se sont fait biberonner à la propagande et savent parfaitement faire la différence avec leur activité d’enseignants. Ils ont déjà eu des étrangers face à eux et ils ont élaboré leur stratégie d’évitement. Ils ne vont pas commencer par un discours sur le Xinjiang [la province dans laquelle les musulmans ouïgours sont persécutés]. » Sa codirectrice, Sun Yiping, historienne de l’Ancien Régime français, adore les Bretons et leur cidre. Avant de venir, « j’ai suivi un stage d’un mois sur les tâches administratives de direction, avec du tai-chi le matin », confie-t-elle. A-t-elle reçu des instructions sur la façon de présenter la Chine ? « C’est personnel, ça. »

« La Chine évolue en bien », déclare, quant à elle, Jessica Zhang-Pène, en citant la libéralisation de sa politique familiale. C’est la jeune femme qui a monté les deux visites de M. Bayrou à Xi’an, avant d’en organiser une autre avec des entrepreneurs locaux du foie gras.
« En France, on fait de la politique à douze mois, la Chine mène la sienne à trente ans, c’est ce qui a intéressé François Bayrou. Le plus important, c’est de regarder l’évolution du peuple, qui est divers. Le régime, c’est le régime. » Si elle raconte volontiers les souffrances de sa famille durant la Révolution culturelle de Mao, la directrice ne dira pas un mot sur Xi Jinping. Et détourne le propos quand on évoque le sort des Ouïgours : « Je vois plein de musulmans heureux partout quand je vais en Chine. »

Une même phrase revient dans tous les Instituts Confucius, témoin de la stratégie de l’esquive qui leur sert d’ambigu modus vivendi : « On ne fait pas de politique ici, ce n’est pas notre sujet. » « Les IC sont la cible des anti-Chine, on évite les problèmes », confie Jia Baojun, à Pau. « Il y a Pékin, l’ambassade et François Bayrou – c’est quelqu’un, pour l’Institut Confucius ! On est prudents. »

« Ce n’est pas un instrument d’influence mais de découverte des peuples », assène François Bayrou dans sa magnifique mairie donnant place Royale. Le haut-commissaire au plan d’Emmanuel Macron assume le jumelage noué il y a trente-cinq ans par son prédécesseur,
André Labarrère, avec la ville de Xi’an. « C’est très simple, je fais la distinction absolue entre le régime et le peuple. Cette entreprise doit être mise à l’abri des considérations politiques et je n’essaie pas de jeter de l’huile sur le feu. » Le président du MoDem ne peut qu’être vu comme une bonne « prise » par Pékin. Le démocrate a certes refusé d’adresser une lettre de félicitations au PCC pour ses 100 ans, comme l’ambassade l’avait suggéré aux partis français, mais il jure : « Je ne vois pas le PCC quand je vois l’Institut Confucius, il ne fait aucune propagande. Je serai hypervigilant. »

Des directeurs sous surveillance

L’IC de Paris, rattaché au département de la formation continue de l’université Diderot en 2006 et jumelé avec Wuhan, a refusé de répondre au Monde – comme celui de Metz. Avec 600 inscrits, il occupe pourtant la place la plus enviée, installé aux côtés des prestigieuses études chinoises françaises portées par l’Université de Paris et l’Inalco. « Le poste de Paris est parmi les plus difficiles à avoir ! », confirme Li Bingzhi, son ancienne directrice chinoise, qui poursuit des études d’informatique en France. Comme tous ses collègues, elle évite de prononcer les mots « Xinjiang » ou « Hongkong » durant la conversation, des sujets au mieux qualifiés de « polémiques » dans les instituts.

La partie française avoue ignorer les liens de ses collègues avec le pouvoir chinois. Gilles Guiheux, qui a codirigé l’institut parisien de 2011 à 2014, a « d’abord eu un collègue qui tremblait dès qu’on ouvrait la bouche et à qui j’ai fini par dire : “OK, on ne fera rien sur Taïwan ou le Tibet.” Le suivant s’organisait pour que son rapport annuel au Hanban présente bien, quitte à s’arranger avec la réalité, et cela s’est mieux passé. »

Leurs rapports de gestion peuvent être formels, tout comme la convention qui les lie aux universités chinoises – « satisfaire la demande sans cesse croissante d’apprentissage de la langue », « la compréhension mutuelle du peuple français et chinois », dit celle de Rennes. Les directeurs restent néanmoins sous surveillance. En 2012, lors de la conférence annuelle des cadres Confucius à Pékin, un raout « corporate » de plusieurs milliers de participants abreuvés de discours officiels, M. Guiheux a été pris à partie par la directrice du Hanban, Xu Lin, en raison d’un projet culturel lié à la démocratique île de Taïwan : « Ah, c’est vous qui avez signé avec Taïwan ! » Pour cet universitaire, qui regrette d’avoir laissé jouer un opéra universitaire « nullissime » dans ses locaux, « le problème des Instituts Confucius est qu’ils diffusent une image fausse de la Chine. Mais nous en sommes coresponsables ».

Les acteurs du réseau français adhèrent à l’idée d’une puissance chinoise irréfrénable. « La Chine va vite, elle nous dépasse en matière de technologie. Elle va devenir une superpuissance, la question est de savoir comment mieux travailler avec elle », justifie Léon Laulusa, codirecteur français du Business Confucius de l’Ecole supérieure de commerce de Paris. Celui-ci a été ouvert en 2018 avec l’université des langues étrangères de Pékin, et, souligne-t-il, « le feu vert du Quai d’Orsay ». Il compte 250 étudiants, un budget de 300 000 euros, dont le tiers vient de Chine. A propos du Xinjiang, il répond : « Est-ce qu’aborder ici ces thématiques va faire avancer le débat ? L’éthique des affaires est primordiale pour nous, mieux vaut la traiter dans le cadre des cours de l’école. »

Un des responsables rencontrés par Le Monde assure « être tous les ans contrôlé par le renseignement territorial, qui cible tous les étudiants et les enseignants », et que « jusqu’à présent il n’y a pas eu d’alerte ». Les affaires étrangères, elles, refusent d’intégrer les IC dans le réseau de la coopération décentralisée qui associe universités, entreprises et associations.

Tentative d’entrisme

Trois fermetures ont eu lieu en France, à Lyon, Nanterre et Toulouse. « Pour des raisons de personnes », dit-on dans le réseau. En 2013, la patronne du Hanban avait en fait exigé la tête du directeur français du centre de Lyon, Gregory Lee, et suspendu son financement. M. Lee a expliqué avoir refusé les « demandes nouvelles et exponentielles » de Pékin, notamment le fait que l’IC codélivre des diplômes avec l’université. Une vraie tentative d’entrisme qui a servi de leçon à tout le monde.

Un incident, le premier à Angers, a marqué le Printemps des poètes en 2020. Plusieurs directeurs chinois du réseau français se sont mobilisés quand M. Bernard a voulu mettre à l’honneur Fang Fang, une écrivaine célèbre, autrice d’un journal de bord du confinement à Wuhan et mise au ban par Pékin. « Ma directrice chinoise m’a dit que ce n’était pas une bonne idée de la promouvoir. Certains voulaient la censurer. Nous ne l’avons pas retirée de notre site. » Après cela, la ville a prévenu ses interlocuteurs chinois qu’en cas de censure préalable elle arrêterait son festival de jeunes réalisateurs, Premiers Plans. Il y a cependant peu de risque que cela arrive, convient l’adjoint au maire, car « en ce qui concerne les événements culturels organisés ici, tout est beau et lisse ».

En France, les incidents sont restés rares ; les stratégies d’évitement fonctionnent. « Jusqu’à présent, les IC ont adopté un profil bas, avec la volonté de développer la culture chinoise là où il n’y avait rien, comme à Pau ou à la Rochelle. La réaction de l’ambassade pour punir des chercheurs, comme elle l’a fait avec Antoine Bondaz de la Fondation pour la recherche stratégique [traité de “petite frappe” sur Twitter par l’ambassade en mars], est une nouveauté.

Mais cette diplomatie “guerrière” ne se sert pas des IC – ce serait se tirer une balle dans le pied », estime le président de l’Inalco, Jean-François Huchet.

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« Des conférences très ouvertes ont été organisées par les instituts », salue-t-on même à l’Inalco. La liste des ouvrages recommandés par le réseau français est parfaitement éclectique, allant de Fang Fang à Wang Anyi, romancière classique, en passant par un opus sur les queers. « Nous n’invitons des artistes que parce que nous pensons qu’ils ont des choses à
dire », peut affirmer M. Thierrée, à Rennes. « Le projet Confucius en France est bien conduit pour développer une influence intelligente, en profondeur, s’appuyant sur des gens comme moi qui croient en la culture et pensent qu’il ne faut pas s’arrêter à Xi et au PCC pour parler de la Chine », affirme-t-il. Selon lui, la situation des instituts est « précaire ». Il dit avoir « des lignes rouges » : « une condamnation de la Chine pour génocide des Ouïgours » ou
« un nouveau Tiananmen ». Et il suffirait que le ministère des affaires étrangères l’ordonne pour que tous ferment.

Pénétrer sans bruit l’université

En 2020, Pékin a réformé le Hanban. Ce département, qui focalisait les critiques internationales, a disparu au profit de deux entités : d’un côté, la Fondation internationale pour l’éducation, qui gère la marque IC et délègue la signature des conventions aux universités ; de l’autre, un Centre pour la langue et la coopération éducative, l’opérateur. Cet habile découplage du pouvoir central fait que des Pyrénées à l’Alsace, de la Bretagne à La Réunion, tous ne réfèrent plus qu’à leur université chinoise – placée sous la coupe du PCC. Les relations s’en trouveraient simplifiées, mais la réforme n’apparaît pas encore clairement sur le terrain

Loin de la diplomatie agressive des « loups combattants », mise en œuvre par les ambassadeurs chinois en Europe, la réussite des IC de France peut, du point de vue de Pékin, se mesurer sur un autre plan : leur capacité à pénétrer l’université, sans bruit. Le réseau Confucius demeure un angle mort du ministère de l’enseignement supérieur. Contacté par Le Monde, celui-ci renvoie « aux rectorats en cas de dérive ». « Cela n’a jamais été un sujet et l’université française a toujours eu des rapports très ouverts avec l’ambassade de Chine », relate Roger-François Gauthier, inspecteur général à la retraite. « Il n’y a jamais eu de mission de l’inspection générale », confirme Marc Foucault, qui a rejoint l’inspection après avoir dirigé les relations internationales du ministère. Au mieux, « une attention pour que les IC ne supplantent pas les enseignements des autorités françaises ».

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Département à part entière de l’université d’Artois, l’IC d’Arras, conventionné avec Nankin, infuse dans tout le Pas-de-Calais – jusqu’au Louvre-Lens, qui prépare avec lui une exposition du peintre Pan Gongkai, président de l’Académie centrale des beaux-arts à Pékin. Il a conforté son rôle en formant chaque année les directeurs Confucius d’Europe à la didactique du chinois. Il rend aussi de grands services aux 200 étudiants du tout jeune département d’études chinoises de l’université : test de mandarin HSK (l’équivalent du TOEIC pour l’anglais), bourses en Chine, compléments de cours et stages.

« L’institut est un catalyseur de relations et d’activités, une structure qui permet à l’université de rayonner un peu plus », se réjouit son président, Pasquale Mammone. Ce mathématicien se rend deux fois par an à Nankin, où il entretient des coopérations avec ses collègues des départements intelligence artificielle et chimie verte. « L’IC me permet d’accéder au recteur à chaque fois que j’y vais. Nankin a des moyens phénoménaux, beaucoup de mes collègues aimeraient les avoir. » Depuis 2020, l’IC d’Arras offre même la possibilité de passer un diplôme universitaire (DU) de chinois des affaires, un projet conçu pour des chefs d’entreprise, mêlant ses enseignants à ceux de la fac. L’intrication est bien réelle.

Vigilance croissante

« On essaie d’unir nos forces. Nous avons des moyens. L’université, en difficultés matérielles, a un public », résume très bien Blaise Thierrée, à Rennes. Le durcissement du régime de Pékin suscite cependant une vigilance croissante de la part des universitaires français.
« Personne ne croit que la réforme du Hanban est une décentralisation », note Cédric Laurent, directeur des études chinoises de l’université Rennes-II.

« L’institut doit rester une association hors de l’université, nos relations se limitant à organiser des événements en commun, généralement à notre initiative », insiste-t-il. Et ce, d’autant plus, dit-il, que l’IC de Rennes est rattaché à l’université de Shandong, très proche de la défense et de la sécurité publique chinoises. Les échanges de professeurs, pratiqués dans les débuts, ont été vite arrêtés. « Cela posait des problèmes, car leurs enseignants étaient formés à une certaine idéologie. » Autrement dit : le parti avant la liberté académique.

Pour maintenir un équilibre, l’université Rennes-II s’est tournée vers Taïwan, qui lui finance un demi-poste d’enseignant, autant que vers Pékin, qui lui envoie un lecteur de Shanghaï. En matière d’enseignement du chinois, « les Taïwanais voient l’occasion de fournir une alternative, car les IC sont sévèrement critiqués à l’étranger, mais ils n’en ont pas les
moyens », explique Antoine Bondaz, de la FRS. L’université Diderot « a bien signé un accord pour mettre en place une Taiwan Academy, explique Béatrice L’Haridon, maîtresse de conférences, mais il est au point mort, après de longues hésitations sur la forme de cette coopération ». Car le gouvernement taïwanais ne peut se permettre qu’elle apparaisse comme un concurrent direct de l’Institut Confucius.

Nathalie Guibert (Angers, Arras, Pau, Rennes, envoyée spéciale) du Lemonde