Les opérations d’influence du régime chinois pour imposer son modèle au monde : rapport du ministère des Armées

Presse | septembre 27, 2021

C’est sans doute une première mondiale. Une étude sans précédent de 650 pages, publiée par l’Institut de Recherche Stratégique de l’École Militaire du ministère des Armées, dévoile le réseau tentaculaire d’influences du Parti communiste chinois à travers le monde. On y apprend que Pékin mène un large éventail d’opérations de propagande, de manipulation, d’intimidation et de désinformation à grande échelle pour imposer son modèle à la planète.

L’Institut de Recherche Stratégique de l’École Militaire (Irsem) a rendu public le 20 septembre un rapport intitulé « Les opérations d’influence chinoises : un moment machiavélien ». Une synthèse minutieuse de plus de 650 pages publiée au terme de deux années de recherches par le directeur de l’Irsem, Jean-Baptiste Jeangène-Vilmer et son directeur du domaine « Renseignement, anticipation et menaces hybrides », Paul Charon.

Le rapport offre un panorama relativement complet de l’influence chinoise dans le monde et montre que le Parti communiste chinois (PCC) est entré « dans un moment machiavélien », estimant plus sûr d’être craint que d’être aimé, expliquent les auteurs.

L’objectif de ces opérations d’influence chinoises dans le monde est d’une part d’empêcher tout discours négatif sur le PCC, notamment concernant les « cinq poisons » (Ouïghours, Tibétains, Falun Gong, « militants pro-démocratie » et « indépendantistes taïwanais ») et d’autre part, de produire un discours positif sur la « prospérité, la puissance et l’émergence pacifique » de la Chine.

Les opérations d’influence du régime chinois

Les actions d’infiltration du PCC à l’étranger relèvent de deux objectifs principaux : 1. Séduire les publics étrangers, en faisant une narration positive de la Chine et 2. Infiltrer et contraindre. L’un comme l’autre passent par une « nébuleuse d’intermédiaires » décrits dans le rapport : les diasporas, les médias, la diplomatie, l’économie, la politique, l’éducation, les think tank, la culture et la manipulation de l’information (notamment au sujet du Covid).

On peut lire dans le rapport que « les acteurs principaux mettant en œuvre les opérations d’influence chinoises sont des émanations du Parti, de l’État, de l’Armée comme des entreprises. Au sein du Parti, il s’agit en particulier du département de Propagande, en charge de l’idéologie, qui contrôle tout le spectre des médias et toute la production culturelle du pays ; du département du Travail de Front uni, qui comporte douze bureaux, reflétant ses principales cibles ; du département des Liaisons internationales, qui entretient des relations avec les partis politiques étrangers ; du Bureau 610, qui a des agents dans le monde entier agissant en dehors de tout cadre légal pour éradiquer le mouvement Falun Gong ».

Le quartier général des opérations d’influence chinoises est la base 311 de l’Armée populaire, basée à Fuzhou dans le sud du pays. La base possède neuf unités qui mènent leurs opérations d’influence via des stations de radio, des maisons d’édition, des universités et son « armée des 50 centimes ».

Deux millions de citoyens chinois seraient payés à temps plein pour relayer la propagande de Pékin et 20 millions agiraient à temps partiel pour inonder les réseaux sociaux de la propagande du PCC en suivant trois types d’affrontement : 1. Façonner et imposer un récit servant les intérêts du pays (la guerre de opinion publique), 2. Dissuader, voire terroriser les forces ennemies (la guerre psychologique) et 3. Utiliser la justice comme « arme de guerre » (la guerre du droit) pour attaquer ou sanctionner les individus ou les États considérés comme hostiles.

Le réseau d’influence chinois en France

La France, comme bien d’autres pays, n’échappe pas au gigantesque réseau d’influence du PCC et accueille de nombreux relais de la propagande de Pékin.

« Ce rapport est excellent puisqu’il extrêmement complet et fouillé. C’est la première fois en France qu’il y a cette capacité, de façon systématique, à démonter les efforts et les stratégies d’influence chinoise », a commenté Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique et spécialiste de la Chine, sur France Info.

Plusieurs voix portent le discours du régime chinois en France. Sont pointés du doigt la maison d’édition « La Route de la Soie » et sa revue Dialogue Chine France (éditée par un organisme lié au Parti communiste chinois), le think tank « The Bridge Tank » (qui organise des événements financés par l’ambassade de Chine), la fondation « Prospective et Innovation » présidée par Jean-Pierre Raffarin et le think tank IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques).

L’IRIS a réagi à la publication de ce rapport, appréciant peu d’être cité comme relais de la propagande du régime chinois. Le directeur de l’Irsem a répondu en citant les éléments abordés dans le rapport :

Le rapport donne l’exemple de la Fondation Prospective et Innovation présidée par l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin. Selon l’Irsem, « au cours de la dernière décennie, la Chine est clairement devenue le sujet phare de la fondation » et son « contenu participe à répandre les arguments et les éléments de langage du Parti communiste. »

L’emprise chinoise passerait également par les Instituts Confucius subventionnés par l’État français. Au nombre de 18 en France, ces écoles chinoises « permettent à Pékin de renforcer son influence dans les villes moyennes », décrit l’Irsem. Selon le rapport, les acteurs politiques locaux sont pleinement conscients des liens étroits entre les Instituts et le gouvernement chinois, mais espèrent justement pouvoir s’en servir comme des « canaux pour développer les relations commerciales ». Certains chercheurs et intellectuels sont aussi cités pour leur rôle de porte-étendard du PCC en France.

Le Falun Gong cité 79 fois dans le rapport

Le rapport de l’Irsem consacre un chapitre à la création du Bureau 610, une structure qui a « des agents dans le monde entier agissant en dehors de tout cadre légal pour éradiquer le mouvement Falun Gong ».

Le Falun Gong, également connu sous le nom de Falun Dafa, est une ancienne pratique spirituelle chinoise consistant en des exercices de méditation lents et des enseignements moraux qui encouragent l’authenticité, la bienveillance et la tolérance dans la vie quotidienne. Sa popularité a atteint son apogée à la fin des années 1990 en Chine, avec 70 à 100 millions de pratiquants, selon les estimations officielles.

Le Bureau 610 est une commission de haut niveau secrète qui a joué un rôle clé dans les campagnes de persécution du Parti communiste chinois. Souvent comparé à la « Gestapo chinoise », il a été créé par l’ancien dirigeant du Parti Jiang Zemin le 10 juin 1999 (d’où son appellation) dans le but de mettre en application l’éradication du Falun Gong en dehors de tout cadre légal.

En Occident, les émanations du Bureau 610, qui s’appuient sur les diasporas chinoises et les universitaires, médias ou personnalités publiques, susceptibles de soutenir l’action du PCC, sont également incités à prendre publiquement position contre le Falun Gong.

Les prélèvements d’organes forcés et le trafic d’organes

L’ensemble des actions menées à l’encontre des Ouïghours par le régime communiste chinois est l’un des exemples de guerre psychologique coercitive décrit dans le rapport, et dont sont aussi victimes les pratiquants de Falun Gong depuis 1999.

« Arrestations aléatoires, internement de masse, travail forcé, traçage numérique, contrôles fréquents, sinisation forcée, ‘rééducation’ des enfants, destruction de lieux de culte, harcèlement, sédentarisation »… les Ouïghours font l’objet d’une répression violente au nom de la « lutte contre l’extrémisme religieux » du PCC. Selon le rapport du ministère des Armées, on estime qu’1 à 3 millions de Ouïghours sont aujourd’hui internés dans les camps. « Les femmes subissent une stérilisation forcée, et autres « mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe » qui font partie des actes constituant un crime de génocide. »

Les prisonniers seraient également victimes de prélèvement d’organes servant à alimenter un vaste trafic d’organes « halal » à destination des pays du Golfe. Les pratiquants de Falun Gong sont également victimes depuis 1999 de ces prélèvements forcés pour alimenter un vaste réseau de transplantation international. Le PCC « supervise la plus vaste entreprise étatique de trafic d’organes dans le monde : il est à peu près certain qu’un grand nombre d’organes sont extraits de prisonniers d’opinion [qui sont] exécutés à la demande pour des clients payants », peut-on lire dans le rapport.

Ces actes innommables ne suscitent quasiment aucune réaction internationale. La Chine a même contribué à créer la task force de l’OMS contre le trafic d’organes et à placer un représentant à la tête de la Transplantation Society (TTS). Selon l’Irsem, c’est parce que le régime chinois réussit à contrôler et à façonner le discours sur ce sujet, avec trois objectifs selon Matthew Robertson : « protéger la sécurité politique et la légitimité du régime de l’accusation selon laquelle il exploite systématiquement les prisonniers d’opinion comme source d’organes ; garantir la disponibilité continue d’organes de transplantation pour les membres de l’élite du parti ; renforcer l’image de la Chine sur la scène mondiale en tant que chef de file dans un domaine avancé de la médecine, tout en préservant le prestige et l’accès des chirurgiens chinois aux revues médicales occidentales, aux conférences et aux sociétés professionnelles ».

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Les auteurs du rapport, Paul Charon et Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, soulignent que les stratégies et les opérations d’influence décrites dans le rapport sont celles du régime chinois, et non de la Chine ou du peuple chinois : « Le problème n’est pas « la Chine », elle n’est pas un « ennemi » (c’est au contraire le Parti qui divise le monde en « amis » – ceux qui défendent ses intérêts – et « ennemis » – ceux qui osent le critiquer), […] le problème n’est pas un différend philosophique entre deux options également valables, une Chine prétendument « confucianiste » et l’ordre international « libéral ». Le problème, comme le résume l’historien Frank Dikötter, est que « le PCC reste, structurellement, un parti unique léniniste [qui] cherche à saper toute opposition tant au pays qu’à l’étranger » ».

Selon les auteurs, cette stratégie chinoise tentaculaire est souvent inefficace voire contreproductive : « Le choix de la Chine ces dernières années est celui de l’agressivité, être craint plutôt que séduire. La conséquence en est une dégradation durable de son image à l’étranger. Mais son objectif prioritaire est ailleurs : maîtriser la situation à l’intérieur du pays. »